Douze numéros, chacun envoyé à plusieurs centaines d'exemplaires pour informer des expositions, signatures ou nouveautés et surtout sorties de ce que j'ai édité au fil des années (portfolios, livres ; estampes ; affiches ; tirages de luxe ; collectors etc.) sans oublier certains ouvrages que j'ai distribués (j'aurais mieux fait de m'en abstenir !)…
Quelques rares textes furent écrits par d'autres personnes par amitié : les meilleurs, comparativement aux machins-trucs que je rédigeais à la va-vite pour juste présenter les choses (il fallait toujours tout faire en même temps)…
Voici le texte écrit par un ami pour présente Kyle Baker lors de la sortie en français de Pourquoi je déteste Saturne (Éditons Delcourt) :
LETTRE DE CARTHAGE #4
FÉVRIER 2000
"D’abord, c’est plein d’hydrogène. Ensuite, c’est froid et beaucoup trop loin pour y passer un week-end en amoureux. Mais Anne a de toutes autres raisons pour détester Saturne.
Sous une couverture décevante - l’originale était bien plus originale - voici enfin traduit un des albums U.S. les plus amusants de ces dernières années. Kyle BAKER n’en était pas à son coup d’essai avec cette comédie de moeurs : un premier album solo paru en 1988 et disponible actuellement chez Marlowe and Company, The Cowboy Wally Show, confirmait le talent d’humoriste apparu en 1987 dans ses dessins pour la série de DC Comics The Shadow, un bijou d’humour très noir, ou même l’adaptation en B.D. de films comme Howard The Duck - une daube totale, il faut bien le reconnaître. Cowboy Wally racontait la carrière d’un animateur-acteur de la télé américaine, producteur de séries à côté desquelles Hélène et les garçons pourrait passer pour un chef-d’oeuvre comme Twin Peaks.
Avec un noir et blanc très sobre et une science consommée des expressions faciales, BAKER livrait une satire de la télé populaire, lui qui écrit pour elle depuis longtemps.
Déjà présente dans cet album, l’utilisation de dessins à mi-chemin entre l’illustration et la B.D. accompagnés de texte situé sous ou à côté des cases va caractériser les œuvres suivantes de BAKER. Celui-ci puise donc depuis ses débuts aux sources de la bande dessinée, avant l’utilisation des bulles, pour créer des oeuvres pourtant très ancrées dans leur époque. Son art consommé du rythme, qui doit beaucoup au slapstick des débuts du cinéma au plan narratif, mais qui est aussi en évidence dans les chutes de ses blagues hilarantes, n’est égalé que par sa maîtrise de la complémentarité texte-image.Pour reprendre la classification établie par Scott Mac Cloud dans L’Art Invisible, BAKER utilise à merveille certaines combinaisons entre le mot et le dessin : le type “additif” où texte et image font passer le même sen, ici amplifié, et le type ‘interdépendant”, où une synergie, une création de sens, se produit entre le texte et l’image. Quand cette virtuosité est mise au service d’un humour où figurent en bonne place des jeux de mots bien tirés par les cheveux [bon courahe au traducteur !], le résultat atteint des sommets de folie douce
En 1999 est paru chez DC Comics / Vertigo son troisième album, You Are Here, dans des couleurs par ordinateurs genre cellulo. Un trait qui oscille entre les bébêtes à la Disney et le gore à la De Palma, un méchant qui ressemble à Mitchum dans La Nuit Du Chasseur, un homme qui voit son passé lui revenir en pleine figure, tout cela crée une atmosphère plus âpre que celle de Cowboy Wally, atmosphère que l’on retrouve dans son dernier album en date, paru pour la fin de l’année chez DC, I Die at Midnight.
Le 31 décembre 1999, un homme largué par sa copine décide de se suicider en avalant des médicaments, mais ladite copine surgit bien inopportunément, décidée, elle,
à faire la paix. S’ensuit une course contre la montre en 64 pages dans un New- York prêt au passage à l’an 2000. Une course-poursuite pour récupérer un remède aux médicaments absorbés, mais aussi contre un gros bras cinglé et violent épris
de la copine en question. Un réveillon pas comme les autres... Ces deux derniers albums, à l’humour toujours présent mais où les personnages sont confrontés à des psychopathes réellement malfaisants, annoncent peut-être une évolution chez le comique léger que fut jusqu’à présent BAKER.
Léger, mais dangereux : il a récemment provoqué la destruction du tirage d’un comic. Il y dessinait une courte histoire humoristique où l’on découvrait les déboires de la baby-sitter de Superman bébé. Une ambiance à la Tex Avery qui a terrifié l’éditeur DC Comics quand ils ont découvert le super-bébé grésillant joyeusement dans un four
à micro-ondes. De peur qu’un parent imbécile n’essaie la même chose avec son gosse et les poursuive en justice, ils ont fait pilonner ce comic. De la naissance d’un collector
de Kyle BAKER...
Entre Cowboy Wally et You Are Here se situe donc Pourquoi je Déteste Saturne, paru en 1990 chez DC. Le noir et blanc est là rehaussé de l’utilisation élégante
d’une couleur de fond, choix délibéré de la part de Baker puisque des projets comme Justice Inc. [une mini-série dérivée de The Shadow] ou l’adaptation B.D.
de De l’Autre Côté du Miroir, pour le défunt éditeur First Comics, avaient montré son art de la couleur.
Le point fort du dessin de BAKER, ces contorsions faciales en phase parfaite avec un texte soigné aux petits oignons, est lui aussi à l’honneur. Le personnage principal de cette histoire est une jeune femme nommée Anne, dont la soeur légèrement fêlée est poursuivie par son ex, un jaloux dangereux...et prétend venir de Saturne.
Vive la famille !
Anne est une femme moderne : elle écrit une chronique pour un magazine branchouillard, se débrouille très, très bien sans les mecs, si, si, s’habille en noir et passe beaucoup de temps à discuter de sexe avec son meilleur copain, Ricky. Une new-yorkaise des
années 80, quoi. Qui va traverser les U.S.A. à la recherche de sa soeur quand l’ex vient la menacer. De quoi effectivement détester Saturne !
Tout cela est aussi bavard et amusant qu’un bon épisode de sitcom, les considérations loufoques sur les hommes, les femmes et tout le tintouin succédant aux calembours et vacheries. Même lors des apparitions de l’ex qui se fait de plus en plus pressant,
le ton reste léger et hystérique. Comment échapper à un type assez riche pour faire condamner un immeuble, se demande Anne. Heureusement pour elle, on apprend
à se servir des armes lourdes, sur Saturne..."
F. Peneaud