jeudi 14 mai 2020

> Béatrice de Joris Mertens…

En plein cœur de l'hiver 1972, Béatrice est seule dans la foule dont elle ne se distingue que par son manteau rouge vif, comme un petit chaperon rouge au cœur de la forêt urbaine constituée de ceux qui se lèvent tôt, des nombreux véhicules et de la grisaille immobilière, qu'elle fend pour se rendre à son travail de vendeuse en maroquinerie aux Galeries La Brouette… 


Ce matin là, suivant le flux de la marée humaine vers le train qui doit l'amener à son travail, son regard est attiré par un sac* posé contre un pilier en acier du quai, tache rouge, comme elle…


Le soir venu, sa journée de travail aux Galeries La Brouette terminée, Béatrice rentre chez elle ; alors que son train dégorge sa masse de travailleurs désabusés, elle aperçoit à nouveau le sac rouge, toujours là, comme alanguit par cette journée passée contre le même pilier…
Béatrice rejoint son petit appartement par l'interminable spirale de son escalier qui l'aspire jusqu'au dernier étage d'un immeuble ancien, se plonge dans son lit et dans la lecture de Bonjour tristesse de Françoise Sagan…
Un nouveau matin, un nouveau trajet en train pour une nouvelle journée de travail… Quelle n'est pas sa surprise de voir le sac rouge toujours là, posé contre le même pilier  de la gare…
Une nouvelle journée harassante aux Galeries La Brouette s'achève, routine, retour à la case départ sous la pluie : arrivée à la gare, le sac rouge est encore, et toujours là…
Béatrice se décide à le prendre, et rentre chez elle sous une pluie battante, protégeant le sac, le serrant contre sa poitrine, le cœur battant, lui aussi,  sans nul doute  plus vite qu'à son habitude…
Arrivée chez elle, Béatrice ouvre le sac et en découvre le précieux contenu… et le fantastique entre en scène.



Il est certain que le besoin de créer des liens ou des filiations graphiques se fait de plus en plus ressentir depuis quelques années, aussi bien pour des raisons pratiques — arriver à distinguer ceci de cela dans le volume trop important de titres édités en Bande Dessinée — que pour des raisons commerciales évidentes… 
Nul doute que les paysages urbains de Joris Mertens feront penser immédiatement à Nicolas De Crécy, davantage encore par cette technique de traits de crayon bruts, (re)lâchés, nerveux et par les lumières et les teintes dominantes de gris-bleus…Si la technique finalisée du dessin crayonné est devenu une des facettes graphiques de la Bande Dessinée, notamment dans les œuvres de Blain, Cailleaux, Gaultier, l'univers de Joris Mertens m'a aussi fait penser (allez savoir comment se forment les associations d'idées graphiques ?) à Pourquié, avec ses Méduses plein la tête… 
Mais il faut dépasser ces liens et rester dans le plaisir immense que procure la lecture de Béatrice, tant par la maîtrise absolue de la narration graphique de Joris Mertens dans ce récit sans aucun texte, que par son immense talent de dessinateurs et de coloriste !
Certains constateront avec plaisir que cette histoire est constituée de plusieurs boucles se juxtaposant, dont l'une d'elle, et cela me touche particulièrement, est un hommage appuyé aux livres et à la lecture : cela commence dès la quatrième planche, lorsque Béatrice regarde la vitrine d'une librairie, et se poursuit discrètement tout au long de ces pages,  lorsque l'on voit , ici,  Béatrice plongée dans un roman, ou, , en train d'explorer les étagères d'une librairie, sous le regard surveillant du maitre des lieux, cela va sans dire !…
Parce qu'en ces temps là, oui Monsieur, oui Madame, les gens achetaient des livres dans… des librairies !

Béatrice - page 11 : le libraire surveille ses clients…

Béatrice est une véritable perle lumineuse dans la grisaille actuelle, un livre admirable à contempler et à lire avec délice : une très agréable surprise dans le panorama actuel de la Bande Dessinée !…
Sorti au début du mois de mars, alors que nous allions tous devoir plonger dans le nouveau monde inconnu du Grand Confinement, le livre est peut-être passé inaperçu du fait de la conjoncture. Maintenant que nous pouvons ressortir de nos tanières et retrouver une autre lumière que celles de tous nos écrans numériques, je ne peux que conseiller vivement de lire Béatrice afin de remettre un peu de vraie lumière dans nos pupilles… et du baume au cœur des lecteurs curieux !!!…
Une respiration graphique absolue dans une période où nous avant tant besoin de retrouver un nouveau souffle…
Béatrice est une invitation à un merveilleux voyage graphique lancée par Joris Mertens… 

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,

Luxe, calme et volupté.


Béatrice par Joris Mertens



Béatrice par Joris Mertens
Éditions Rue de Sèvres
Parution 4 Mars 202
112 pages 
Format 24 x 32 cm 
PVP 19
9782810216253




Valéry Ponzone




* suivant votre envie et votre localisation géographico-culturelle, vous pouvez changer le mot "sac" par : pochon, poche, sachet, bourse, cornet, voire cabas…